Réponse à tout

 
 
 
 
 On consultait les astres et les entrailles des animaux. Quand on ne savait pas expliquer quelque chose on attribuait le mystère aux facéties des dieux. Les plus téméraires se mirent à émettre de nouvelles hypothèses. Des gens courageux bousculèrent les idées reçues et transmises depuis des siècles. Certains le payèrent de leur vie, car ces idées convenables et conformes à l’esprit du temps ne devaient pas être mises en cause. Avec les Lumières et les révolutions, les découvertes scientifiques et l’instruction publique, aux forces obscures l’intelligence imposa sa loi. Certes l’école pouvait encore propager des idées fausses mais elle avait cet avantage en transmettant le savoir indispensable de permettre à la jeunesse de s’interroger, d’explorer des territoires inconnus. Si l’on ne trouvait pas la réponse en nous-mêmes, on questionnait un ami, un parent, un professeur. On cherchait dans un livre, un dictionnaire, une encyclopédie. Il n’y avait jamais réponse à tout pour la bonne raison que les humains que nous sommes n’ont pas la science infuse comme on dit, et que le progrès dans les connaissances ne va pas plus vite que la musique. Sans parler des questions fondamentales, celles qui sont la source de tout et sur lesquelles les grands savants de l’antiquité n’en savaient ni plus ni moins que nous. 
 
 A ceci près, et c’est le but de mon propos, que les plus sages de nos ancêtres avouaient qu’ils ne savaient pas grand-chose et qu’il fallait au moins reconnaître cela. Il manquait à nos Anciens la technologie qui permet au premier quidam du troisième millénaire venu d’avoir réponse à tout. Dîtes-moi comment notre philosophe de l’âge classique aurait pu connaître l’horaire du ferry menant de son île d’Egine à l’aéroport du Pirée, s’assurer qu’il restait bien une place dans l’avion pour Olympie en classe touristes, que la météo lui permettrait de profiter pleinement du spectacle des Jeux, et une fois arrivé sur les lieux, dîtes-moi comment il aurait pu vérifier que l’alarme protégeant sa villa sur les pentes de l’Olympe était bien activée, en étant dépourvu de ce petit objet qu’on peut aujourd’hui à tout moment sortir de sa poche et qui nous renseigne sur tout cela et sur plein d’autres choses ? Dîtes-moi ! 
 
 « Qui nous renseigne ». Un petit écran de 8 centimètres nous met au courant, et quand sa réponse n’a pas la précision attendue, au moins il nous tuyaute : partir après 9h pour éviter les bouchons, prendre un parapluie en fin d’après-midi, ne pas manquer d’allumer la télé à 20h pour ne pas louper l’événement du jour, bref ce n’est pas un objet mais un véritable cerveau d’appoint. Il renseigne. Le mot est approprié. Où ? Quand ? Qui ? Et parfois : Comment ? Le savoir contenu dans cette merveilleuse petite boîte est sans limite sur le lieu, le moment, la personne et même la manière. Il y a une question toutefois à laquelle il ne répond jamais : Pourquoi ? Il n’examine jamais la cause. Il dissertera avec force détails sur le déroulement de la nuit du 4 août, mais ne vous dira jamais pourquoi un beau jour une révolution mit fin au régime monarchique. S’il le fait, c’est en reproduisant des pages de textes déjà existant ailleurs sur le bon vieux papier. Avec pour vous une difficulté supplémentaire de lecture vu la petite taille de l’écran. 
 
 On me dira que les livres n’ont pas non plus réponse à tout. Je leur vois toutefois un premier avantage : ils n’interrompent jamais la conversation. Les rapports entre les personnes sont plus directs, sans objet interposé. Plus apaisés aussi, sans la menace de voir notre propos contredit par le premier wikipédien venu, qu’on n’avait d’ailleurs pas invité à notre table. 
 
 Si tout le savoir est contenu dans une boîte, cela évite de chercher une réponse en nous-même, de penser, de réfléchir. Cela dispensera un jour peut-être de questionner un ami, un parent, un professeur. Dans les trains, sur les trottoirs, dans les réunions de famille, sur les bancs de l’assemblée et les plateaux de télévision, au cinéma même et jusque sur les gradins des stades des millions de femmes et des hommes s’effaceront, s’inclinant devant une nouvelle idole certes minuscule, mais toute puissante car omnisciente et portable.
 
 Mais le pire, et j’y vois une incidence inquiétante sur le comportement de nos contemporains : ils pourraient croire avoir réponse à tout. Nos Anciens disaient qu’il fallait reconnaître ne pas savoir grand-chose. De cette élégance nous sommes incapables aujourd’hui. 
 
 
 
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13/07/2019
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