N'y allez pas avec vos enfants!

 

 Nous sommes près de Tursac en Dordogne entre rivière et falaise . C’est un château très particulier, édifié grâce aux efforts conjugués de l’homme et de la nature. Les cavités creusées par les flots au cours des millénaires ont été habitées jadis par nos lointains ancêtres, peut-être même par le cousin Neandertal. Fortifiés au Moyen-âge, ces abris sous roche sont devenus la Maison Forte de Reignac. Elle est ouverte au public. Cadre magnifique, vue plongeante sur la Vézère. Intérieur surprenant, grands espaces qu’on n’aurait jamais soupçonnés depuis l’extérieur, cuisine, salle à manger, chambres, sans oublier la cave et les oubliettes, le tout dans un excellent état de conservation.

 

 Bref, on s’y croirait.

 

 Ah oui, vraiment ? Des propos me reviennent à l’esprit, prononcés entre la poire et le fromage, et je ne critique personne, plus d’une fois ces mots ont dû sortir de ma bouche :

 

« C’était mieux avant ! »

 

Il est vrai qu’aujourd’hui tout va mal, le chômage, les guerres (pas ici mais quand même), la baisse du pouvoir d’achat, la crise du logement, la délinquance, le sida, l’alcool et le cannabis au volant, les déficits, les mensonges des hommes politiques, la pollution de la planète, le réchauffement climatique, la commission de Bruxelles. En plus de cela, il n’y a plus de saisons et mon permis de conduire a maigri d’un point. 

 

 Moi j’aurais voulu vivre la Libération, les années 45-50. Ah bon ? Il y avait encore les tickets de pain ? J’aurais vu mon papa revenir sur un quai de gare, tout maigre et les yeux exorbités, et j’aurais eu beaucoup de chance parce que d’autres n’auraient vu personne revenir.  

 

 Trêve de plaisanterie, le bonheur pour moi, ç’aurait été les années 20. La victoire sur l’Allemagne, l’occupation de la Ruhr. J’en frissonne de joie. J’aurais ajouté ma pierre à la reconstruction du pays. Mais attention, avant je m’aurais battu, et en première ligne, dans les tranchées. Moi, j’aurais tout fait : Verdun, le Chemin des Dames, la Somme, les privations, la boue, les tirs d’artillerie mal ajustés des copains, les rats, la gangrène, les infirmières, la scie égoïne et finalement j’aurais pas revenu du tout.

 

 Restons sérieux, le bonheur c’était bien avant …dans la nuit épouvantable, tenant haut la torche, je fuis les Dévoreurs d’hommes. Quelle chance ai-je de leur échapper ? Mes poursuivants s’éparpillent en petits groupes sur toute la largeur de la savane, se faufilant entre les blocs erratiques. Epuisé par des jours et des jours de course, je sais l’issue fatale. A la lueur de la lune, je devine, d’un coup d’œil rapide sur les côtés, que des hommes, encore loin mais déjà à ma hauteur, cherchent à me cerner. A quel point j’aurais été fier de porter jusqu’au bout la flamme, et combien plus encore de l’éteindre devant mes compagnons effarés ! Car auprès des Hommes sans épaules, j’ai appris à créer le feu. Et devant leurs yeux émerveillés, à l’aide d’une baguette, sur quelques feuilles et brindilles sèches, une petite flamme serait née, qui aurait grandi, aurait éloigné les bêtes sauvages, cuit les aliments et réchauffé les familles, assuré la pérennité de mon peuple. Et dans mon peuple, il y a la belle Gammla. Alors, je reprends mon souffle, ma foulée s’allonge...

 

 …mais j’ai le jogging en horreur. J’aurais préféré la flânerie, sous les portiques à Athènes. Démocrate éclairé, j’aurais poussé jusqu’à l’Agora, applaudi Périclès et voté la guerre contre le barbare perse. J’aurais honoré les dieux et respecté mes esclaves. Allons bon, j’avais oublié ce détail de l’Histoire : les esclaves. 

 

 Adieu la Grèce, un coucou rapide aux Romains, en passant. Esclavage à tire-larigot, crucifixions, despotisme, face à face avec les gladiateurs affamés et les lions armés jusqu’aux crocs, tout ça en public… je n’aurais pas supporté.

 

 La steppe sous un roulement de galops, dans un nuage de poussière, me voici à la tête d’une horde, chevauchant un étalon, direction grand ouest, chevelure d’or et moustache au vent. Je suis un Goth. Guerrier terrible dont la bravoure n’a d’égale que la cruauté, j’occis tout ce qui bouge. Je ravage. Je saigne. Je brûle. Je rase. Je viole. Ah non pas ça, moi qui suis poltron comme pas deux !

 

 Je laisse passer quelques invasions… Ah ! Le Royaume de France, ses damoiseaux, ses damoiselles. Tournois, honneur, chevalerie, courtoisie… tout cela me convient assez bien. J’ai trouvé mon époque. C’est le Moyen Age ... mais vers la fin : Léonard de Vinci, Gutenberg, les Grandes découvertes, le Nouveau Monde, bref la Renaissance. Et Torquemada.

 

 Me voici donc de retour à Reignac. Visite du château falaise. Tiens, une exposition temporaire sur la torture. Un « devoir de mémoire » souligne-t-on à l’entrée. Ames sensibles s’abstenir, n’y allez pas avec vos enfants, s’ils vous posent des questions vous ne saurez pas quoi répondre. J’en ai encore mal aux fesses. Deux cuillères de Théralène pour s’endormir. Et là, il faut rendre hommage à la Sainte Inquisition. On a dit beaucoup de mal de l’Eglise romaine, qu’elle aurait tourmenté les savants, qu’elle aurait fait obstacle au progrès scientifique. Taratata. Calomnies que tout cela, et puis je vais vous dire, sans l’autorité pontificale, qui aujourd’hui parlerait de Giordano Bruno et de Galilée ? Et alors, au niveau technique, chapeau. Des instruments de tortures où tout a été pensé dans le moindre détail. Capables de convertir le pire des mécréants. Il y a des textes aussi, nous mettant en garde (nous les hommes) contre la créature que Satan a doté de tous les vices, suivez mon regard. Bref, une époque formidable, à condition d’être catholique (intégriste si possible) et de sexe masculin. Race blanche conseillée. Religions à éviter : toutes les autres.

 

 J’entends d’ici les critiques : tout ça c’est du passé. Alors là, je m’efface. Je laisse la parole à l’association organisatrice de l’exposition : 

 

« (…) La torture est rituelle chez beaucoup de peuples, Asie, Océanie, Afrique, Amérique (exemple : réducteurs de têtes –après la mort je suppose, NDLR-, scalp, écorchement, extraction de cœur).

 

Liste non exhaustive des pays qui ont pratiqué des génocides ou des exécutions de masse au XX° siècle accompagnées de tortures ou de violences :

 

 Turquie (génocide envers les Arméniens), Japon (violences militaires en occupation), Allemagne (Hitler), URSS (Staline), Cambodge (Pol Pot), Chili (Pinochet), Argentine (dictature militaire), Grèce (dictature militaire), Portugal (Salazar), Espagne (Franco), Italie (Mussolini), Chine (Mao Tse-Toung), Syrie (dictateur Hafiz Al-Asad), Irak (Saddam Hussein), Iran (Shah), Cuba (Fidel Castro), Paraguay (Stroessner), Amérique centrale, Nicaragua (Somoza), Europe centrale, divers régimes communistes tels que Roumanie (Ceaucescu), es-Yougoslavie (violences militaires), Corée du nord, Rwanda, Afrique du sud (violences ethniques), Darfour.

 

 Le nombre de victimes de la barbarie au XX° siècle est impossible à définir avec exactitude, les estimations donnent une fourchette entre 400 et 500 millions.

 

 Quelle est la situation aujourd’hui en 2007, 218 ans après la déclaration des droits de l’homme et du citoyen ?

 

 De nombreux pays pratiquent la peine de mort, des viols des droits humains, des arrestations et incarcérations arbitraires, des atteintes à la liberté d’expression, des procès et des violences à caractère politique, des exécutions extrajudiciaires, des détentions dans des conditions inhumaines, des assassinats politiques. La totalité des pays y compris d’Europe connaissent tous aujourd’hui des montées du racisme ainsi que des violences contre les femmes. » (fin de citation)

 

 

Remerciements à Rosny-Ainé (La guerre du feu) ainsi qu’au propriétaire de la Maison forte de Reignac qui a accueilli cette exposition. (présentée préalablement à Mexico, Tokyo et San Francisco).

 

 

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29/09/2008
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