Lettre à ma grand-mère
Les bienheureux, de Monaco sur la corniche,
Toisent la France d'en bas dans sa misère, claustrée.
Les pauvres le sont toujours, les riches encore plus riches,
Tes camarades d'usine sont mortes et enterrées.
Tes camarades d'usine, à visage découvert
Qui poing levé sortirent en mille neuf cent trente-six,
Sur la tête ces dames, foulard ne portaient guère
Leur fierté ni leur mari ne l'auraient prescrit,
Si ce n'est au soudage, au plus loin de la flamme
Pour maintenir leurs cheveux.
.
Et puis ces autres, grandes bourgeoises
qui, depuis leur première enfance n'ont rien trouvé d'autre à faire
que de s'épanouir,
qui n'ont connu d'entraves à leur liberté
que les intempéries, les grèves des transports aériens, l'impôt sur la fortune,
nous disent :
Laissez donc vivre ces pauvres musulmanes, diversité culturelle oblige !
Révoltant !
Messieurs de la radio et de la presse, interrogez donc un peu les gens
du peuple, et surtout les femmes.
Celles-là ne parlent pas pour ne rien dire, car elles savent. Leurs mères
et leurs grands-mères n'ont pas tenu
de grands discours. Elles ont agi, résisté, manifesté, hurlé, existé et puis surtout
elles ont voté, enfin !
De ce combat, il reste quelque chose dans ce pays.
La possibilité pour les dames cultivées de parler dans les radios, certes,
mais aussi
le droit de se promener en mini-jupe, de se baigner seins nus, tiens
cela fait rire,
Monseigneur je regrette, si cela vous dérange, retournez dans votre église
et laissez-nous vivre.
Je disais donc mini-jupe, seins nus,
droit d'aimer qui l'on veut, de choisir le partenaire de son choix,
de faire l'amour pour l'amour,
de choisir le moment d'avoir un enfant
ou pas d'enfant
de baptiser un nourrisson dans la religion de son choix
ou d'attendre qu'il soit en l'âge de réfléchir
afin qu'il décide par lui-même s'il a besoin d'un dieu.
Droit d'aller à l'école, de la maternelle à l'université,
Droit de conseiller, de commander, de diriger un service,
une entreprise, un régiment,
un pays.
Pour les femmes aujourd'hui, tout n'est pas rose, loin de là,
mais des droits ont été gagnés, conquis, imposés, il y a encore du pain
sur la planche,
au lieu de perdre du temps pour savoir si l'on doit ou non sortir déguisées,
et de se demander s'il faut légiférer, pourquoi ne pas appliquer la loi ?
Elle existe, ce sont les premiers mots de la Déclaration Universelle de 1948 :
Tous les êtres humains (donc hommes et femmes) naissent et demeurent libres et égaux en droit et en dignité…
C'est clair, c'est net. On enlève les cagoules, les foulards, les grillages, on se regarde, on se parle. A propos de parler, on pourra enfin mettre sur la table un problème crucial. L'application du beau slogan : « A travail égal, salaire égal ! »
Nous faire revenir des siècles en arrière ?
Bien sûr que non.
Ce ne sont pas quelques illuminées manipulées par des faibles d'esprit
qui vont nous faire baisser la tête.
cliché Michel Pourny
Cette photo, Menie, elle me vient d'Edimbourg, je l'ai prise il y a trente ans. J'ai horreur de prendre les gens en photo. C'était un 90 mm et j'étais loin. Je suis certain de n'avoir pas blessé cette dame. Je n'ai découvert l'épingle à nourrice qu'au moment d'examiner l'épreuve en la sortant du révélateur. Pour le reste, je ne sais pas quoi dire, depuis trente ans, en Ecosse comme ailleurs, le monde a-t-il vraiment changé ?
Elle porte un foulard sur la tête, qui la protège du froid.
Un beau visage, un regard. Elle te ressemble.
Elle me dit, tout bas : il faut changer le monde.
Je t'embrasse.
Michel.
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