Le livre noir du communisme

 

Depuis 1994, la fuite des balseros embarqués sur des coquilles de noix (balsas, radeaux de fortune) n'a pas cessé.

 

« Castro a aussi tenté de freiner ces fuites en envoyant des hélicoptères bombarder les frêles embarcations avec des sacs de sable. Près de 7000 personnes ont péri en mer au cours de l'été 94. Au total on estime qu'un tiers des balseros sont morts au cours de leur fuite. En trente ans, près de 100.000 cubains ont tenté l'évasion par mer. Au total les divers exodes font que Cuba compte actuellement 20% de ses citoyens en exil. »

 

d'après Le livre noir du communisme.- Stéphane Courtois, Nicolas Werth, Jean-Louis Panné, Andrzej Paczkowski, Karel Bartosek et Jean-Louis Margolin édité chez Robert Laffont, 1997.

 A prendre donc avec des pincettes, car on se doute bien que de tels ragots ne peuvent avoir été répandus que par la CIA et l'impérialisme international. Ceux qui désirent être informés objectivement de la réalité cubaine auront recours à la littérature communiste officielle, cela va sans dire.

 

 D'ailleurs, les touristes français de retour de Cuba sont toujours enchantés de leur voyage. Ce n'est pas une preuve, ça, de la bonne santé du régime castriste ? Si toutefois la vie du peuple cubain n'est pas à l'image de ce que le Guide avait promis, n'est-ce pas à cause des privations engendrées par le blocus de l'impérialisme américain ?

 

 Anticommunisme primaire, encore et toujours. Preuve en est, ce même « livre noir » nous invente des crimes qui auraient été perpétrés par Staline, y compris contre des membres de son propre parti ! Sans parler de prétendus millions de morts suite à des déportations massives d'innocents dans des camps sibériens… Des révoltes ouvrières auraient secoué les démocraties populaires en 1953, 1956, 1968, révoltes qui d'après ces mêmes auteurs auraient été écrasées par l'armée rouge ! Mais où vont-ils chercher tout ça ?

 

 Intrigué par ces catastrophes décrites avec une précision d'horloger dans ce gros pavé (1094 pages ! en Pocket) avec force crimes, terreur et répression, et chiffres, bien sûr, chiffres, nombre de victimes du communisme depuis 1917 jusque dans les années 90 et sur quatre continents, je me dirigeai vers l'encyclopédie en ligne Wikipedia.

 

 Le livre noir du communisme y est présenté en détail (1), ainsi que les polémiques qu'il a suscitées.

 

Trois niveaux de critiques :

 

1/ le nombre des victimes  surévalué;

2/ l'idéologie communiste jugée seule responsable ;

3/ la similitude établie entre crimes communistes et crimes nazis ;

 

1/ Les chiffres d'abord.

 

  Stéphane Courtois calcule pays par pays (en millions de morts):

 

- URSS                       20

- Chine            65

- Vietnam                    1

- Corée du nord           2

- Cambodge                2

- Europe de l'est          1

- Amérique latine         0,15

- Afrique                      1,7

- Afghanistan               1,5

- autres                        0,01

 

pour un total d'environ 94 millions de morts que l'auteur arrondit à 100.

Pour Nicolas Werth et Jean-Louis Margolin co-auteurs du livre (Le Monde du 14 novembre 1997),  il s'agit d'

« un chiffrage des victimes du communisme abusif, non clarifié (85 millions ? 95 ? 100 ?), non justifié, et contredisant formellement les résultats des coauteurs sur l'URSS, l'Asie et l'Europe de l'Est (de leurs études, on peut tirer une « fourchette » globale allant de 65 à 93 millions ; la moyenne 79 millions n'a de valeur que purement indicative). »

Pour N. Werth il y aurait eu quinze millions de victimes en URSS (et non pas 20) ;

J.-L. Margolin explique « qu'il n'a jamais fait état d'un million de morts au Vietnam », On ne lit nulle part ce chiffre en effet. Page 808, il est question de 500.000 à 1 million de « rééduqués ». Certes, vu les conditions de détention (p.809) : soins médicaux minimes, sous-alimentation, entassement, violence des châtiments, climat tropical, manque d'aération, odeurs insupportables, maladies de peau…il est probable que le nombre de victimes fut très important. A ce propos, il est intéressant de souligner que les victimes ne sont pas exclusivement des « traîtres »: il y a aussi des membres du FNL et des communistes (originaires du sud capitaliste) (2).

Certes, comme l'écrit Laurent Joffrin (Libération, 17 décembre 1997) :

« la contestation des chiffres est dérisoire : à 50 ou 60 millions de morts au lieu de 80, le communisme deviendrait-il présentable ? »

2/ l'idéologie communiste jugée seule responsable ;

 

Pour Jean-Louis Margolin :

 

« Même si le terreau communiste peut aboutir aux crimes de masse, le lien entre doctrine et pratique n'est pas évident, contrairement à ce que dit Stéphane Courtois »

 

 Le lien entre doctrine et pratique : ne pas confondre la doctrine communiste et les applications qui en ont été faites. Ayant été moi-même trotskiste, je crois bien connaître les arguments qui justifient cette thèse :

 

1/ La révolution d'Octobre s'est faite dans un pays arriéré, non encore industrialisé, épuisé par la guerre et qui plus est, après l'échec de la révolution allemande, isolé  =  voici comment on justifie la prise du pouvoir par un parti ultra minoritaire, la guerre civile, les réquisitions, la répression des soulèvements, même populaires, le bâillonnement de l'opposition, le parti unique et la dictature ;

 

2/ Ne pas confondre communisme et stalinisme : Staline comme représentant d'une caste bureaucratique qui a usurpé le pouvoir, est le fossoyeur de la révolution bolcheviste.

 

« Les masses ouvrières affamées, incultes, saignées, n'ayant pas la possibilité de contrôler l'état prolétarien, perdent les moyens de ce contrôle. Ceux qui gèrent deviennent des bureaucrates qui s'élèvent désormais au-dessus des masses et constituent une « caste » privilégiée « administrant » contre le prolétariat et les masses paysannes, les conquêtes d'Octobre. » (3)

 

Les thèses de Marx, Engels et Lénine ne seraient donc aucunement en cause dans les crimes perpétrés en URSS et dans les démocraties populaires : pour les trotskystes, Staline et la bureaucratie soviétique seraient seuls responsables.

 Courtois répond en citant Léon Blum à Tours en 1920, s'adressant à ses camarades socialistes qui allaient fonder le PCF :

"Votre dictature (en URSS, NDLR) n'est plus la dictature temporaire. (…) Elle est un système de gouvernement stable, presque régulier dans votre esprit. (…) C'est dans votre pensée un système de gouvernement créé une fois pour toutes. (…) Vous concevez le terrorisme comme moyen de gouvernement."

 Si Jean-Louis Margolin entend séparer la doctrine de son application sur le terrain, il faut bien reconnaître que nulle part dans les œuvres de Marx et Engels il n'est question d'un appel au crime. Par contre, toute l'histoire n'ayant été –d'après Marx- qu'une histoire de luttes entre les classes, il était logique de penser que le passage au socialisme ne pût se faire que par l'instauration d'une dictature (la dernière) de la classe dont la libération devait coïncider avec celle de l'humanité tout entière : la dictature du prolétariat. Nombre de pourfendeurs de la thèse du livre noir argumentent dans ce sens. On ne fait pas d'omelette sans casser des œufs, les révolutions connaissent toutes des périodes de terreur, c'est inéluctable. La faute à qui ? A la classe des exploiteurs, accrochée qu'elle est au capitalisme, garant de la pérennité de ses privilèges. Et cela nous conduit à mieux comprendre l'objection de  Jean-Louis Margolin :

« Cela [l'analyse de Stéphane Courtois] revient à enlever son caractère historique au phénomène. »

Ainsi, Gilles Perrault demande pourquoi Nicolas Werth n'évoque pas « l'interventionnisme étranger acharné à juguler la jeune révolution bolchevique ? »

Faux. Troisième chapitre. La terreur rouge. Page 103 et suivantes, il est bien question de la mise en cause de la révolution par l'interventions de troupes étrangères :

 « Jamais les bolcheviks n'avaient senti leur pouvoir aussi menacé qu'autour de l'été 1918. Ils ne contrôlaient en effet plus guère qu'un territoire réduit à la Moscovie historique, face à trois fronts anti-bolcheviks désormais solidement établis : l'un dans la région du Don, occupée par les troupes cosaques de l'Ataman Krasnov, et par l'armée blanche du général Denikine ; le deuxième en Ukraine aux mains des Allemands et de la Rada (gouvernement national) ukrainienne ; le troisième le long du transsibérien où la plupart des grandes villes étaient tombées sous la coupe de la légion Tchèque, dont l'offensive était soutenue par le gouvernement socialiste révolutionnaire de Samara. »

Non seulement Nicolas Werth n'escamote pas l'interventionnisme étranger, mais, et c'est tout l'intérêt de ce livre, il révèle des événements extrêmement importants qui eurent lieu à l'intérieur même du « champ de bataille » : le jeune pouvoir bolchevik fut mis en difficulté à l'intérieur du pays par des révoltes et l'insoumission de pans entiers de la population.

« (…) près de cent quarante révoltes et insurrections de grande ampleur éclatèrent durant l'été 1918 ; les plus fréquentes étaient le fait de communautés paysannes refusant les réquisitions menées avec brutalité par les détachements de ravitaillement, les limitations imposées au commerce privé, les nouvelles mobilisations de conscrits pour l'Armée Rouge. Les paysans en colère se rendaient en foule à la ville la plus proche, assiégeaient le soviet, tentant parfois d'y mettre le feu. Généralement les incidents dégénéraient : la troupe, les milices chargées du maintien de l'ordre et, de plus en plus souvent les détachements de la Tcheka n'hésitaient pas à tirer sur les manifestants. » (4)

(J'imagine les hurlements des communistes et de l'extrême gauche aujourd'hui si Sarkozy envoyait la troupe tirer sur les paysans en colère, eux qui jugent liberticide une loi interdisant aux enfants non accompagnés de sortir la nuit… Bon, un peu d'humour ne fait pas de mal dans ce monde de brutes ! Je me reprends…)

Outre le fait qu'il est curieux qu'une révolution populaire soulève contre elle le peuple lui-même, on est en droit de s'étonner qu'une révolution populaire ne doive sa survie qu'à une violation flagrante des droits de l'homme : l'auteur rapporte les propos de Lénine (adressé au Comité exécutif du soviet de Penza):

« Camarades ! Le soulèvement koulak dans vos cinq districts doit être écrasé sans pitié. Les intérêts de la révolution tout entière l'exigent, car partout la « lutte finale » avec les koulaks est désormais engagée. Il faut faire un exemple.

1/ Pendre (je dis pendre de façon que les gens le voient) pas moins de cent koulaks, richards, buveurs de sang connus.

2/ Publier leurs noms.

3/ S'emparer de tout leur grain.

4/ Identifier les otages comme nous l'avons indiqué dans notre télégramme hier. Faites cela de façon qu'à des centaines de lieues à la ronde les gens voient, tremblent, sachent et se disent : ils tuent et continueront à tuer les koulaks assoiffés de sang. Télégraphiez que vous avez bien reçu et exécuté ces instructions. Vôtre, Lénine. » (5)

3/ la similitude établie entre crimes communistes et crimes nazis ;

S'il s'agit d'une compétition visant à évaluer le nombre de morts dans les deux camps, non seulement je ne vois aucun intérêt à la chose, mais cette réduction à deux camps me paraît illégitime. Pourquoi ne pas évoquer cette boucherie qui entre 1914 et 1918 a ravagé l'Europe tout entière ? Le capitalisme n'en est-il pas responsable ? Et les massacres et génocides en Amérique, en Afrique, en Asie, les pays colonisateurs n'en sont-ils pas responsables ?

Foin des statistiques, le problème n'est pas là. C'est même un terrain dangereux. Certains esprits mal intentionnés pourraient disculper les nazis d'avoir déporté, torturé et exterminé moins de personnes que n'en a tuées la guerre de 14.

 Il serait plus pertinent –et éducatif-, mettant de côté les chiffres, de montrer comment chacun des deux systèmes, le fasciste et le communiste, ont réussi à museler des peuples, à supprimer toutes les libertés, à dénoncer, à déporter, à tuer des populations entières. Le Livre noir n'aborde cette question que du côté communiste, j'y reviendrai ultérieurement sur ce blog.

Ces quelques mots de Nicolas Werth (un des auteurs du livre) font réfléchir :

« le crime est certes une composante essentielle [du communisme], mais le mensonge qui a permis l'occultation de la terreur me paraît plus central que le crime lui-même. » (6)

 L'occultation de la terreur, le nazisme ne l'a réussie que partiellement, et les efforts des négationnistes, islamistes et néo-nazis d'aujourd'hui ne sont rien d'autre que pitoyables.

 Il en va tout autrement des crimes du communisme qui ont été cachés au monde pendant plusieurs dizaines d'années. Le mensonge en a effectivement été une composante essentielle. Comment ce mensonge a-t-il été possible ? J'y reviendrai.

§

 

(1)   Le livre noir du communisme, un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.

(2)   Qu'on se rappelle le traitement qui avait été infligé par Staline aux soldats soviétiques de retour d'Allemagne.

(3)   Pierre Foulan.- Introduction à l'étude du marxisme, in Documents de l'Organisation Communiste Internationaliste n°4, date d'édition non précisée, début des années 80 ?

(4)   L.M.Spirin, Klassy y partii v grazdanskoi voine v rossii (classes et partis dans la guerre civile russe) Moscou 1968, p.180 et suiv.

(5)   Centre russe de conservation et d'étude de la documentation historique contemporaine 158/1/1/10

(6)   Wikipédia, op.cit.



10/03/2010
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