La journée estivale du franchouillard de base

 

 Dernière étape du Tour de France. Ce n’est pas un fanatique du vélo, mais il ne manque aucun reportage à la télé. Pour les paysages. Surtout ceux vus d’hélicoptère. Le vert des prairies, des alpages et des forêts se décline dans toutes ses nuances. Les plus beaux fleuves du monde nous renvoient les reflets d’argent de leurs eaux miroitantes. Le chaud mois d’Août approche et dore les immenses champs d’épis qui, moissonnés dans la plus pure tradition paysanne, nous régaleront de bon pain, de crêpes et gâteaux succulents. Ah ça oui, quel beau pays, la France.

 

 Parfois, le Tour s’égare au-delà des Pyrénées ou des Alpes. Le commentateur de la chaîne publique qui qualifiait il y a quelques minutes ces montagnes de magnifiques, fantastiques, merveilleuses, sensationnelles, indescriptibles, reste muet maintenant ( Vérité en deçà … ). Notre téléspectateur quant à lui, profite du passage en terre étrangère pour aller se soulager.

 

 La dernière étape est fulgurante (elle illumine soudainement l’esprit) : dans la plus belle ville du monde, le Tour se termine en apothéose par un sprint sur la  plus belle avenue du monde.

 

 Oh là, doucement ! Avant l’arrivée impériale sur les plus beaux Champs Elyséens du monde, l’hélicoptère de la télévision la plus publique du monde (dont les programmes sont les moins abêtissants du monde car inspirés par l’Exception Culturelle Française), l’hélicoptère donc, survole les Trésors de l’humanité.

 

 A tout seigneur tout honneur, le Beau, le Grand, l’Unique Musée du Louvre. Oui, l’Unique, il y a six continents et un musée du Louvre ! Et là, en vol stationnaire, dans la plus belle langue du monde (l’allemand est un hennissement, l’italien une chansonnette, l’anglais un baragouin commercial, quand à l’espagnol, il n’est parlé qu’au mois d’Août sur la Costa Brava, donc de peu d’intérêt), dans la plus belle langue du monde donc, la plus littéraire, la plus poétique, la plus nuancée, la plus difficile aussi (pauvres étrangers qui tentent d’accéder à la Culture !), le commentateur ému dirige notre regard sur la pyramide de verre (il n’y en a pas d’autres dans le monde, même en Egypte). Le téléspectateur appelle son épouse occupée à la Cuisine (la meilleure du monde, la plus riche en légumes verts cultivés sans apports chimiques d’aucune sorte, composée des viandes les plus fines et les plus saines car délicatement prélevées sur des créatures de rêve nourries à la bonne herbe de nos belle campagnes, cuisine, que dis-je : art culinaire où les plus grands crus du monde accompagnent la dégustation des fromages les plus variés, les plus nombreux et les meilleurs du monde), le téléspectateur appelle donc son épouse mais trop tard. Car le sprint est lancé, les Français sont bien placés jusqu’à quelques dizaines de mètres de la banderole, mais se font coiffer sur la ligne par un étranger qu’on ne connaît même pas, qui porte un nom imprononçable à tiroir, et qui s’exprime dans un charabia incompréhensible. D’ailleurs, les étrangers raflent tout : maillot jaune, maillot vert, maillot à pois, les trois marches du podium…Ouais ouais ouais…bizarre.

 

 La dame retourne à sa cuisine, son homme éteint la télé, on entend un bruit de verres dans la salle à manger.

 

-         Un bon pineau bien de chez nous, maman ? Ils le disaient bien dans l’Equipe : les sportifs français ne pourront pas gagner tant que les autres continueront à se doper.

 

 Aujourd’hui la pause est écourtée, car demain à la première heure, c’est le grand départ. A vrai dire, la préparation des bagages sera rapide car ce n’est pas un départ en voyage. Surtout pas. Ici, on fuit l’inconnu. Une bonne location toujours au même endroit depuis vingt ans, en Vendée, en Bretagne, en Limousin, en Provence, à la campagne, en montagne ou au bord de la mer, mais dans tous les cas : chez nous, en France. Ah ça une location, ils auraient bien aimé, mais cette année, il faut payer la voiture, alors ils vont dans la famille, en province. C’est à côté d’une centrale nucléaire, ce qui ne leur fait pas peur du tout, les centrales françaises sont les plus sûres du monde. La voiture, il descend tous les soirs au garage pour voir si elle est toujours là. Il y a trois marques d’automobiles dans le monde : Peugeot, Citroën, Renault. Profitant d’une promo, il a opté pour Renault.

 

 Le soir à la télé, à l’heure de grande écoute, on fait le tour des catastrophes : tornades aux USA, prise d’otages en Tchétchénie, explosion d’une voiture piégée au Maroc, carambolage meurtrier sur une autoroute allemande, déluge de pluies et inondations au Royaume-Uni, canicule dans le sud de l’Europe, naufrage d’un boat-people en Méditerranée, climat de guerre au Proche-Orient, génocide au Soudan, famine en Corée du nord, fuite radioactive au Japon, silence radio de la sonde américaine qui devait transmettre des informations capitales sur les anneaux de Saturne, tremblements de terre en Grèce et en Turquie, pendaisons en Iran, lancement réussi d’un missile à moyenne portée pouvant transporter une ogive nucléaire en Iran aussi, réaction violente de la police chinoise contre des manifestants pro-tibétains, attentats suicides en Afghanistan, au Pakistan et en Irak, avalanche meurtrière dans les Alpes italiennes, fonte accélérée de la banquise, élévation inévitable du niveau de la mer et disparition programmée de plusieurs îles habitées dans les mers du sud, augmentation du prix du baril, menaces de famine dans une grande partie de l’hémisphère sud.

 

 Puis le présentateur aborde l’Hexagone. Le président passe de bonnes vacances dans sa villa azuréenne. La chef de l’opposition, depuis la Corse où l’eau est à vingt-sept degrés sous un soleil de rêve, prononce une diatribe contre le gouvernement qui a profité des vacances de son peuple pour prendre des mesures en faveur des riches. Sinon, rien. Les dernières  statistiques concernant le tourisme mondial confirment la première position de la France. Les pavillons bleus flottent sur les plages, les vendeurs de gris-gris font fortune à Lourdes malgré la baisse tendancielle du pouvoir d’achat, l’anticyclone reste bien en place ce qui nous promet encore de beaux jours pour la fin de l’été, Paris-plage est un succès. Le vin sera bon, bien qu’un peu moins abondant à cause des grêlons d’Avril, bref encore quelques soucis, mais dans l’ensemble… Ah si, un quartier entier d’une ville française a dû être évacué après la découverte d’une bombe britannique non explosée lors de la dernière guerre, un terrible engin de 200 kilos qu’il a fallu désamorcer.

 

- T’entends ça maman ? Ils nous ficheront jamais la paix, ces Anglo-Saxons !

 

 

§

 

 

 



22/08/2008
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