La faucille et le marteau

 

 

 D’abord, je me suis dit que la décision d’abandonner ce symbole appartenait au parti communiste, et que les gens qui n’avaient pas la carte n’avaient rien à voir là-dedans, c’est mon cas.

 

 A la réflexion, j’ai eu comme on dit un petit pincement au cœur. Non pas que je regrette loin de là l’époque flamboyante du parti et l’édification héroïque du totalitarisme à l’est de l’Europe. Non. Pour moi, l’association de la faucille et du marteau a un sens plus profond, plus simple aussi : l’ouvrier et le paysan unis dans un même monde, celui du travail. Il y a quelques jours ici même, je maudissais cette société imbécile qui tire un trait sur le savoir-faire, l’inventivité, la créativité, l’intelligence, qui sacrifie ceux qui font, qui fabriquent, qui produisent les richesses. Et je parlais de mon père qui était fraiseur, de la qualité de son travail, travail effectué maintenant par des machines, et loin d’ici. Je pense aussi à Simone Weil qui parlait si bien de la condition ouvrière, et de celle du paysan. Si la vie de ce dernier est laborieuse, elle est aussi conditionnée par les caprices de la nature. Eleveur et agriculteur ne peuvent agir librement, indépendamment du climat, des saisons, de la qualité de la terre, du soin à apporter aux animaux. Il en est ainsi depuis des millénaires. Par rapport au travail en usine, c’est encore un avantage de dépendre des caprices de la nature. Mon père travaillait en alternance quinze jours de jour et quinze de nuit. Quand il était à la maison, il dormait. Quand on le voyait, c’est qu’il se dépêchait d’aller prendre son car. Longtemps son atelier fut installé près des presses, il en devenait sourd. De jour, de nuit, qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il vente, il allait prendre son autocar, la gamelle sous le bras. On lui demandait ce qu’il faisait, ses chefs ne lui disaient pas toujours. Et encore, lui était qualifié. On imagine le peu d’intérêt que devaient porter à leur travail ceux dont les gestes étaient répétitifs, chargés de reproduire à l’infini des pièces dont ils ignoraient tout sauf l’endroit où il fallait percer des trous.

 

 « Lorsqu’il met mille fois une pièce en contact avec l’outil d’une machine, il se trouve, avec la fatigue en plus, dans la situation d’un enfant à qui on a ordonné d’enfiler des perles pour le faire tenir tranquille (…) Il en serait autrement si l’ouvrier savait clairement, chaque jour, chaque instant, quelle part ce qu’il est en train de faire a dans la fabrication… » (1)

 

  Quel chemin parcouru depuis ! L’ouvrier aujourd’hui, malheureusement n’a plus ces soucis. On le chasse. Il part, avec quelques sous en poche, laissant sur place son outil de travail. Reclassement, reconversion, baratin. Des millions d’hommes et de femmes restent sur le carreau, et leurs enfants avec. Plus d’usine, plus d’artisans, plus de commerces, plus de gare, plus de bureau de poste, plus d’école. Mais si ! On propose quelque chose, dans l’animation, les associations, la visite des personnes âgées, le gardiennage, les loisirs, et on en trouve des petits boulots, si on en manque, on les invente. Tout est bon pour apaiser la conscience de ceux qui savent. Qui savent qu’il n’y a pas d’autre solution que de jeter à la rue des millions de personnes. Alors vous savez, la transmission du savoir-faire, peut-être a-t-elle encore un sens en Corée, en Nouvelle-Zélande, mais ici, c’est foutu, ou alors, comme ces photographes qui passaient des heures sous une lampe rouge à révéler des détails dans les hautes lumières, cela fait rire tout le monde, le travail c’est fini, place à l’ipade et je me fous de savoir comment ça s’écrit, place aux loisirs, au jeu, rien de tel pour occuper le chômeur.

 

 Quand au paysan aujourd’hui, il doit subir d’autres caprices, pires que ceux de dame Nature. Les quotas, la concurrence au-delà des frontières et jusqu’aux antipodes, les prix des semences, les exigences des distributeurs, sans oublier les difficultés croissantes dans sa vie quotidienne liées à la fermeture des commerces, des écoles, à l’exode des services publics.

 

 Oui, la disparition de la faucille et du marteau a du sens, bien au-delà des discussions internes au parti communiste. Signe de la fin d’une époque, j’allais dire pour paraphraser Coluche, le mouvement ouvrier s’épuise, nous n’avons plus que Lisieux pour pleurer. Et les religions sont fleurissantes, pleines de vie, qui vendent de l’espoir pour pas cher. Pour pas cher c’est encore à voir.

 

 Ceci dit, plutôt que s’en prendre à la faucille et au marteau, nos communistes, depuis des lustres, auraient pu être moins timides et moins sourds, quand ils savaient. Je parle de leurs dirigeants, de leurs intellectuels. Pour un Pierre Daix courageux, combien se sont tus ? Alors qu’ils se pâmaient devant le stalinien Aragon aux allures de poète(2), à deux mille kilomètres d’ici on tirait à balles et à chars sur les ouvriers de Budapest, on déportait, on internait, on massacrait des peuples entiers. Par respect pour les victimes, de la Russie au Cambodge, de la Pologne à la Roumanie, de la Chine au Tibet, le mot lui-même est à bannir, celui de communisme. Il a fait suffisamment de mal à l’ouvrier et au paysan. A ceux qui ont cru en lui, qui se sont battus pour lui.

 

 

§

 

(1)   Simone Weil, La condition ouvrière ;

(2)   Pour le texte intégral, reportez-vous au Blog en hommage à Léon Chaix :

 

 

"Prélude au temps des cerises " de Louis Aragon


(…) « Je chante le Guépéou qui se forme
en France à l'heure qu'il est
Je chante le Guépéou nécessaire de France
Je chante les Guépéous de nulle part et de partout
Je demande un Guépéou pour préparer la fin d'un monde
Demandez un Guépéou pour préparer la fin d'un monde
pour défendre ceux qui sont trahis
pour défendre ceux qui sont toujours trahis
Demandez un Guépéou vous qu'on plie et vous qu'on tue
Demandez un Guépéou
Il vous faut un Guépéou

Vive le Guépéou figure dialectique de l'héroïsme… »

 

 

§

 

 

 



01/03/2013
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