Jetuile Nouvouselles (III)

 La pertinence des arguments de ce contradicteur me dissuadent de poursuivre sur le mode de l'ironie.

 

 La guerre

 

 Loin de moi l'idée que les peuples sont responsables des guerres. La réalité, c'est qu'ils les font pour d'autres. Et qu'ils meurent pour d'autres. Ceci étant dit, cela n'a pas empêché certains de nos grand-pères de courir au massacre la fleur au fusil. C'est du moins ce que j'ai lu dans les livres d'histoire. J'ai entendu aussi des slogans inquiétants, lancés par des gens qui, il y a quelque temps encore clamaient leur pacifisme, comme par exemple : « A chacun son boche », « US go home ». Slogans qui –à ma connaissance- n'étaient pas lancés par les marchands de canon ni l'impérialisme guerrier international. J'ai vu de simples soldats inscrire des sottises sur les obus à l'adresse des innocents qu'ils allaient bombarder. J'ai vu aussi des images de foules en liesse quand les tours de New-York s'écroulaient sur trois mille personnes. Alors, l'agressivité humaine responsable des guerres : non…mais.

 

 Colonisation et esclavage

 

On sait qui étaient les colonisateurs et les marchands d'esclaves. On le sait. Mais il n'est pas toujours conseillé de le rappeler. Pour plus de détails, il vous faudra quitter la France, et vous rendre au Musée international de l'esclavage. Une exception qui confirme la règle : les Britanniques ne craignent pas de regarder leur passé en face. Le commerce des esclaves faisait escale à Bordeaux, à Nantes et dans ce port du nord de l'Europe : Liverpool. Un grand musée inauguré cette année entre autres par l'UNESCO. La traite des noirs, la traversée de l'océan enchaînés dans des cales sombres et humides, la faim, les coups. Tout est dit. S'il fallait juger les auteurs de ce crime, il y en aurait du monde au prétoire ! Les marchands d'esclaves étaient européens, portugais, anglais, espagnols, français, américains du nord et du sud, et …africains. Les petits et grands potentats locaux échangeaient leurs frères de sang contre des armes et autres marchandises de première nécessité. Les uns n'auraient pas existé sans les autres.

 

 En outre, il faut s'entendre sur l'époque et la région concernées. Prenez la Bible, vous verrez qu'au Proche-Orient, le péché mignon de l'esclavage était l'affaire de gens très bien.  Quand à nos Grecs « classiques » leur génie inventif n'a pas mis fin à ce fléau, fort bien justifié par le grand philosophe Aristote :

 

« Il est donc manifeste qu'il y a des cas où par nature certains hommes sont libres et d'autres esclaves, et que pour ces derniers demeurer dans l'esclavage est à la fois bienfaisant et juste. » (1)

 

Deux mille trois cent ans après, Engels examine l'esclavage antique :

 

« Etant donné les antécédents historiques du monde antique, spécialement du monde grec, la marche progressive à une société fondée sur des oppositions de classes ne pouvait s'accomplir que sous la forme de l'esclavage. Même pour les esclaves, cela fut un progrès ; les prisonniers de guerre parmi lesquels se recrutait la masse des esclaves, conservaient du moins la vie maintenant, tandis qu'auparavant on les massacrait et plus anciennement encore, on les mettait à rôtir. » (2)

 

Selon le vieil adage « ni rire ni pleurer mais comprendre », le marxisme ne justifie ni ne condamne. Explication froide, examen de laboratoire : l'esclavage était nécessaire. Des mots qui font peur, sortis de l'éprouvette. Eprouvant. (3)

 

 Le Coran nous en raconte de bien belles aussi sur le sujet.

 

 Au cours de notre longue histoire, des millions de gens ont su exploiter des millions d'autres, prisonniers, métèques, étrangers, femmes, enfants, millions d'autres qui n'avaient d'autres moyens de survie que leurs jambes pour courir ou leurs bras pour ramer. Quand à la Renaissance, période des grandes découvertes, elle fut celle aussi de la confrontation avec ces êtres sans âmes, auteurs et victimes de sacrifices humains pour qui la soumission au « bon chrétien » fut probablement vécue comme une libération …

 

 Marchands d'un côté, esclaves de l'autre, arrêtez ! L'affaire est plus compliquée. Elle concerne aussi ceux qui n'ont rien acheté, rien vendu, rien dit. Elle concerne aussi nos pères en l'honneur de qui on pourrait ouvrir un grand musée sur le bon port de Nantes, gratuit, ouvert à tous, avec de grands panneaux explicatifs et des dépliants traduits dans toutes les langues, un musée qu'on pourrait jumeler avec celui que les souverains africains édifieraient sur cette petite île au large de Dakar, que des Hollandais achetèrent aux autochtones et qu'il baptisèrent du joli nom de « Goede Reede » (La Bonne Rade), petit paradis des commerçants d'esclaves jusqu'au début du XIX° siècle.

 

 La faim dans le monde

 

 On me dit aussi : si la moitié du monde souffre de la faim, c'est la faute aux occidentaux. Loin de moi l'idée de défendre ces derniers dont je suis. Difficile de ne pas s'indigner en apprenant qu'un européen ou un américain du nord consomme cent fois ou mille fois plus d'énergie qu'une famille dans certaine régions de l'hémisphère sud. Je crains toutefois que rejeter la responsabilité sur la moitié septentrionale du monde ne règle pas le problème de la famine. Demandez aux organisations humanitaires s'il est facile de venir en aide aux populations qui sont réellement dans la souffrance. Quand ce ne sont pas les bandes organisées, ce sont les officiels locaux qui détournent les dons. Et ces dictateurs, ces castes, ces oligarques au pouvoir depuis des dizaines d'années, assis sur les métaux précieux et l'or noir, qui vivent dans des palais monstrueux, n'ont-ils pas une part de responsabilité ? Et ces églises, ces papes, ces imâms, ces bons pasteurs qui feignent de voir dans la procréation un don de Dieu, qui interdisent préservatif et contraception et laissent se propager les épidémies mortelles, n'y sont-ils pour rien ?

 

 Le terrorisme

 

Quand au terroriste, s'il dépose une bombe, on me dit que c'est qu'il est dans la misère. Sous-entendu : là encore, l'Occident est fautif. Le terrorisme serait la réponse politique désespérée du Tiers-monde à l'arrogance de l'impérialisme occidental. Depuis des millénaires, des milliards de misérables n'ont jamais attenté à la vie de leur prochain. On entendait il n'y a pas si longtemps que l'accès d'Hitler au pouvoir s'expliquait par la crise sociale et le chômage en Allemagne. Du jour au lendemain, pauvres, chômeurs, sans-logis seraient devenus les hommes de main des nazis. Raccourcis faciles qui innocentent beaucoup de monde. Certain pape n'était pas mécontent de voir barrer la route au bolchevisme en Europe centrale. Sans parler de quelques grands de ce monde qui voyaient se dessiner un bel avenir dans une perspective de guerre. Sans oublier des petits, tout petits de ce monde qui pouvaient rêver d'exister enfin, dans un grand Reich, au prix quelquefois d'une dénonciation, d'une lettre aux autorités.

 

 Quand notre terroriste accroche sa bombe à la ceinture, qu'il pilote lui-même le camion piégé ou l'avion gros porteur, nous franchissons un cap que la religion seule peut expliquer, espérance en l'au-delà, séjour au Walhalla ou dans les Jardins du délice.

 

 Les jeunes de banlieue

 

Certes, si les banlieues s'enflamment, ce n'est pas que les jeunes ont le mal dans la peau. D'abord les jeunes, ça ne veut rien dire. Il y a des millions de jeunes qui n'enflamment rien du tout. Je pense aux filles, et à ceux, nombreux, qui font leur possible pour s'en sortir, qui sont en formation, qui cherchent un emploi ou qui déjà, travaillent. Mais je préfère laisser la parole à Rachid.

« Ces petites gens des classes moyennes, bien au chaud dans leur quartier protégé se dessinent un profil d'humanistes à cent sous : le racisme quelle affreuse chose, et les inégalités, ne m'en parlez pas, et le libéralisme à l'américaine, et la droite populiste, et la femme du président… Finalement, ça ne coûte rien de redresser la tête quand le corps tout entier est vautré dans un fauteuil. Au « bourge » ça ne coûte rien de jouer les rebelles quand sa situation sociale ne le justifie pas. Rebelles ? Mon c… oui ! Haïr l'adversaire, ça leur forge une personnalité. Ca leur donne une contenance, une conscience, peut-être une raison de vivre. Le dimanche autour du barbecue, vous avez les beaufs qui cassent du juif et de l'arabe. Mais les autres, en « garden party », leur jus de pamplemousse avec une pincée de gin et verre à pied au bout des doigts, ils sont pires parce qu'ils font semblant. Des arabes, des beurs, du chômage en banlieue, ils n'en ont rien à f… mais ils pleurnichent. Ca les soulage. Le point commun avec les brutes rasées : ils n'ont aucun sens politique, alors il ne leur reste que la haine. La haine de l'autre. (…)

L'autre, les autres ? « …policiers, militaires, commerçants, professions libérales, dirigeants d'entreprises, mais aussi intellectuels, journalistes, ou personnalités publiques dont l'opinion n'est pas franchement marquée à gauche. »

Halte à la violence, qu'ils clament, partout, dans les écoles, sur les ondes, les chaînes, sur calicots. Mais qu'est-ce qu'ils en connaissent de la violence ? Qu'ils finissent leur gin, et qu'ils aillent pleurnicher plus loin. Je connais deux ou trois catégories de personnes qui ont le droit d'en parler, de la violence. Les gens des quartiers, les policiers, les pompiers. Point barre. » (4)

§

 Pourquoi toutes ces explications ? Parce que je suis fatigué d'entendre que les gens comme vous et moi ne sont responsables de rien. C'est le pouvoir qui serait fautif. Le chef de service, le directeur d'école, le maire, le député, le ministre, le gouvernement, le président, la bourse, les médias, Wall street, l'impérialisme américain, l'Occident... Ah que les choses seraient simples s'il suffisait de regarder vers le haut pour dénoncer les coupables. D'ailleurs, les choses le sont, simples, pour ces politiciens de l'extrême qui attendent le Grand Soir ou l'arrivée d'un Guide pour que tout soit définitivement réglé. Mais nous sommes encore en démocratie, et ce sont les gens comme vous et moi qui, même si c'est par délégation, disposent du pouvoir. Faut-il chercher plus loin, plus haut, plus fort les responsables ?

 

(1)   La Politique, Librairie philosophique J.Vrin, 1977, 1255a

(2)   Anti-Dühring (M.E.Dühring bouleverse la science) Editions sociales, Paris, 1963, pp. 213-214

(3)   A la décharge du « matérialisme historique », disons qu'il n'a pas le monopole des analyses froides de laboratoire. Jeune diplômé(e) sans emploi, employé(e) de cinquante ans licencié(e), chômeur(se) de longue durée, vous devez mal accepter les propos de ces analystes en chambre (froide) entendus sur les radios chaque matin : « Bien sûr la crise aura des conséquences, et bien évidemment en premier lieu il faut s'attendre à une montée en flèche du chômage… » C'est comme si c'était fait. On n'y peut rien. Il fallait s'y attendre. C'est la loi, la règle, le cours des choses, pourquoi pas la coutume ? C'est écrit. Le destin, la fatalité. Le sort en est jeté, il faudra nous y faire. En plus, il se croit honnête ce chroniqueur, c'est cela le plus révoltant : ce qu'il dit est vrai, tout le monde le sait. Lui le dit et l'explique en noir et en noir encore. Pour les couleurs, il nous faudra attendre la bonne volonté des dieux : un sourire de Wall Street, un bon geste des producteurs d'or noir, un OVNI gigantesque débarquant sur la Terre une montagne de réserves alimentaires (surtout des fruits et des légumes verts).

(4)   Propos de Rachid dans « à 100 000 années des lumières » XXI : Où la violence fait un long détour par l'Amérique.

 

§



07/11/2008
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