Hommage aux pacifistes, aux vrais !

 

  Et d’abord à vous, pacifistes de l’âge de mon grand-père, qui n’avez pas voté les crédits de guerre aux gouvernements bellicistes, en 1914.

 

  Hommage à Jean Jaurès, à Karl Liebknecht.

 

  Hommage à vous, les sans-nom fusillés par les chefs de guerre français pour avoir déposé les armes et refusé de participer au massacre d’innocents.

 

  Hommage à vous, ouvriers, paysans, intellectuels espagnols et français aussi, qui avez combattu l’armée franquiste. Hommage à toi, Pedro, que d’autres français ont enfermé dans un camp pour te livrer aux brutes de Mauthausen. Hommages à vous, fiers pacifistes espagnols.

 

  Hommage à toi, Albert Kunst. Pour avoir osé transmettre à Londres les plans des usines de fabrication des fusées V2. Peut-être as-tu sauvé des milliers de vie en Union soviétique et au Royaume-Uni. Tu as été torturé à mort dans ta cellule de Buchenwald, sans jamais avoir donné à tes tortionnaires les noms de tes camarades.

 

  Hommage à cette famille anonyme de Weimar, qui a ouvert sa porte au porteur des plans secrets qui, transmis aux alliés, ont permis le bombardement du site stratégique Dora-Buchenwald.

 

  Hommage à toi, Alexandre Soljénitsyne, officier de l’Armée Rouge, courageux patriote qui comme beaucoup d’autres, dans les pires conditions, a contribué à la retraite et à la défaite de l’impérialisme nazi. En ayant soin de préserver tes hommes, armé de pied en cape, tu as su rester un homme. Mais tu n’as pu fêter ni la paix ni la libération de ton pays. Car, comme le proclamait l’apparatchik Krylenko : « …alors que de tous côtés nous étions entourés d’ennemis, nous avons parfois fait preuve d’une douceur, d’une mansuétude superflue. »

 

 « Soljénitsyne, vous êtes arrêté ! » « Moi ? Pourquoi ? » Il faudra qu’un jour on réponde à cette question.

 

  Hommage à Pierre Daix, militant communiste, qui a osé contribuer à la publication en français d’ « Une journée d’Ivan Denissovitch ».

 

  Hommage aux pacifistes de l’âge de mon père qui ont affirmé leur solidarité aux ouvriers de Berlin-est en 1953, leur soutien aux conseils ouvriers hongrois en 1956. Ces pacifistes-là avaient le monde entier contre eux. Le gouvernement des Etats-Unis les ignorait, et la gauche les accusait de complicité avec « l’impérialisme américain ».

 

  Hommage aux pacifistes français qui ont refusé de participer à l’établissement sanglant de la souveraineté française en Indochine.

 

   Hommage à ceux qui ont milité pour la paix en Algérie, à ceux moins nombreux qui exigèrent le retour immédiat du contingent. Boycottés par la presse et la télévision, ceux-là n’avait que la rue pour faire entendre leur voix.

 

   Hommage aux pacifistes américains et des autres pays qui ont chanté, crié, manifesté leur indignation quand le gouvernement des Etats-Unis décida de bombarder massivement le peuple vietnamien.

 

   Hommage aux pacifistes de mon âge qui, révoltés par l’assassinat le 11 Septembre 1973 de Salvador Allende et le coup d’état militaire du général Pinochet, ont manifesté contre le régime de terreur instauré au Chili avec l’aide de la C.I.A. et le soutien bienveillant de l’Eglise catholique.

 

   Hommage aux pacifistes qui manifestaient naguère en Allemagne contre l’implantation des fusées Pershing.

 

   Hommage aux pacifistes qui manifestaient naguère en Allemagne contre l’implantation des fusées SS 20. Ceux-là étaient moins nombreux.

 

   Hommage à ces pacifistes qui, quatre ans plus tôt, avaient martelé le sol de Paris en scandant « Vive le Printemps de Prague, liberté pour le peuple tchécoslovaque, retrait des chars soviétiques ! »

 

   Hommage à Jan Palach !

 

   Hommage aux manifestants du 27 décembre 1979 qui, à l’instar de l’O.N.U. exigeaient  « le retrait immédiat, inconditionnel et total des forces étrangères en Afghanistan ». Alors que Kaboul refusait tous les visas des journalistes non communistes, les journalistes français les plus traditionnellement pacifistes n’étaient pas dans la rue.

 

   Hommage à ces pacifiques manifestants qui en 1989, la nuit, de Dresde à Leipzig, de Rostock à Berlin, brandissaient des bougies et une pancarte : « Wir sind das Volk ».

 

   Hommage aux pacifistes qui ont l’âge de mes fils, indignés lors des massacres en Bosnie et qui ont manifesté contre l’épuration ethnique au Kosovo.

 

   Hommage aux quelques français qui ont essayé d’empêcher les essais nucléaires à Mururoa, alors que les médias ridiculisaient Greenpeace et le premier ministre australien.

 

   Hommage aux victimes du fanatisme, aux victimes innocentes des tours jumelles. Hommage aux pompiers de New York. Hommage au premier qui a pu penser que ce jour-là, nous étions tous américains.

 

   Hommage aux enfants palestiniens, hommage aux enfants israéliens, qui ont besoin d’un toit, d’une école, d’une éducation laïque, pour qui la paix sera un jour l’occasion de se rencontrer.

 

   Hommage à toutes les victimes des dictatures et à ceux qui, dans leur pays, n’ont pas le droit de manifester.

 

   Hommage à ceux qui réélisent leur propre dictateur, parce qu’ils le font sous la contrainte.

 

   Hommage à ceux qui ont dit non au régime dictatorial d’Irak. Hommage à ceux qui ne pouvaient pas le dire.

 

   Hommage à ces femmes qui voudraient se promener en paix dans les rues. Tête nue.

 

   Hommage à ceux qui refusent la peine de mort, dans les pays où ils peuvent le dire.

 

   Hommage aux pacifistes qui ont manifesté contre la guerre en Irak… s’ils se sont indignés aussi des massacres en Tchétchénie, au Tibet, au Rwanda, en Birmanie, en Côte d’Ivoire, au Tchad, au Soudan, s’ils ont agi aussi pour la libération des prisonniers politiques en Chine, à Cuba, en Iran, s’ils ont condamné dans des pétitions, par des délégations ou des manifestations les régimes policiers de Birmanie et de Corée du nord.

 

  Alors oui, il faut rendre hommage à tous ceux qui pensent que la guerre est d’un autre âge. Mais avant de rejoindre un défilé, chacun doit faire son examen de conscience, l’histoire du siècle passé devrait nous l’apprendre. Certes, on a beaucoup ri en entendant parler de l’axe du bien et de l’axe du mal. Mais ceux qui rient le plus fort risquent de faire la même erreur à l’envers.

 

 Car pour être massifs, les mouvements politiques désignent un bouc émissaire. Au pire, cela a déjà conduit au racisme organisé, planifié. Plus couramment, à la xénophobie. Il y a soixante ans, l’Etat français évoquait les menaces de la coalition judéo-anglo-américaine. Même si les médias ne reprennent que les deux dernières parties de l’adjectif, des signes ici ou là, à droite et à gauche aussi, laissent supposer que le ventre est encore fécond d’où est sorti la bête. Si les malheurs des hommes n’avaient qu’une source, il suffirait de l’identifier et de la tarir. Cela dispenserait les hommes d’avoir une pensée politique.

 

 Je vois dans ce manichéisme un autre écueil, d’ordre moral : si un seul Etat - ou peut-être un seul système- est responsable de tous nos malheurs, cela disculpe nécessairement tel ou tel petit potentat pour ses exactions. En déclarant l’irresponsabilité de tel ou tel, on peut laisser faire, pire, on n’en parle pas, ou mal. Et on ne manifeste pas. Si le nombre de manifestants était en rapport avec le nombre total de victimes de toutes les dictatures du monde, il faudrait manifester dans toutes les villes du monde, de jour et de nuit, et jusqu’à quand ? Le tyran de l’état le plus modeste pourrait faire valoir que la situation est rendue telle à cause de la dette. La dette est imposée par le F.M.I. Le F.M.I. à son tour, etc. Et au bout de la chaîne, il y a le diable. On retrouve ici l’idée de l’axe du mal, inversée.

 

  Je ne rends pas hommage à ceux qui, pour des raisons politiques, stratégiques ou économiques, se découvrent une âme de pacifistes…sauf dans leur propre pays. Car la guerre a été depuis longtemps déclarée sur notre sol. Elle a dévasté des régions entières : le nord, la Lorraine, les zones portuaires, les banlieues. Même les campagnes ont été bombardées, les jachères s’étendent. Des familles ont abandonné leur ferme, des maisons s’écroulent sur les galeries de mines désaffectées, des pêcheurs encore assez riches pour alimenter en gasoil leur bateau rejettent leur gagne-pain dans la mer pour respecter des quotas, des chefs de famille se suicident. Certes, ici ou là on résiste, on intercepte un convoi de fruits et légumes, on envoie des tomates sur un agresseur, on bloque un port, on séquestre un chef de guerre. Quelquefois, celui-ci n’a pas attendu, il a disparu dans la nuit, avec bagages et armes.

 

  Je rendais hommage à Karl Liebknecht. Un grand pacifiste. Il savait que le danger était là, tout près, dans son propre pays. Cela n’empêche personne d’avoir une vision du monde. Mais sans jeter l’anathème sur l’autre. Sans considérer celui qui ne manifeste pas comme un va-t’en-guerre automatique.

 

  Ces images des manifestants de l’après 27 Avril me reviennent en mémoire. Il n’y a pas 17% de fascistes en France, Dieu soit loué. Qui l’ignore ? Qui veut l’ignorer ? Mais il y a probablement d’honnêtes gens qui ont tout perdu et qu’on n’a pas écoutés. Plus que d’un front anti-fasciste, je souhaite la formation d’un gigantesque front pacifiste français, européen, américain, allez ! International : halte à la guerre économique contre les peuples !

 

 

 

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22/05/2008
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