Votre Sainteté...

En hommage à Montesquieu

 

(d'après les Lettres persanes, publiées anonymement à Amsterdam en 1721)

 

 

 

 Votre Sainteté,

 

 Très cher Imam …….

 

 Mis à part les embouteillages, mon périple en Europe se déroule bien.

 

 Paris est aussi grand qu'Ispahan. Les maisons sont si hautes qu'on jugerait qu'elles ne sont habitées que par des astrologues. Vous jugez bien qu'une ville bâtie en l'air, qui a six ou sept maisons les unes sur les autres est extrêmement peuplée et que, quand tout le monde est descendu dans la rue, il s'y fait un bel embarras. Vous ne le croirez pas peut-être, depuis un mois que je suis ici, je n'y ai encore vu marcher personne. Il n'y a point de gens au monde qui tirent mieux parti de leur machine que les Français : ils courent, ils volent. Les voitures lentes d'Asie, le pas réglé de nos chameaux les feraient tomber en syncope. Pour moi, qui ne suis point fait à ce train, et qui vais souvent à pied sans changer d'allure, j'enrage quelquefois comme un chrétien : car encore passe qu'on m'éclabousse depuis les pieds jusqu'à la tête, mais je ne puis pardonner les coups de coude que je reçois régulièrement et périodiquement.

 

 Ne croyez pas, Homme Divin, que je puisse, quant à présent, vous entretenir à fond des coutumes et des mœurs occidentales : je n'en ai moi-même qu'une légère idée, et je n'ai eu à peine que le temps de m'étonner. Au risque de vous choquer, sachez que la première image que j'eus de leur Prince, fut celle de sa caricature reproduite à la une d'un journal à succès. A se demander par quel miracle cet homme, qui comme chez nous a été choisi par son peuple, peut conserver quelque autorité ? Et quand je dis « choisi par son peuple », j'entends par une partie seulement de celui-ci. Car ici, l'anarchie règne avec tous ses maux : les partis pullulent, les candidats au poste suprême aussi, chacun s'accordant le droit de contrôler des urnes qui pourtant sont…transparentes ! Et je ne vous parle pas des mœurs ! Non seulement on ne coupe pas la main des voleurs, mais on accorde à ceux-ci le droit de se défendre ! Les filles vont à l'école, les femmes se promènent hors de chez elles à visage découvert, dans des tenues que je n'ose vous décrire, sans soulever les protestations des passants. Voilà quelques jours que je parcours ce pays, je n'ai encore jamais vu une femme se faire corriger dans la rue !

 

 Au risque de vous choquer, je suis très déçu par la jeunesse française : elle a perdu le goût de la vie et sombre dans la drogue et le pacifisme. Cela est d'autant plus regrettable que ces Occidentaux avaient, au siècle dernier, réalisé de belles choses. Ils eurent leurs Jeunesses Hitlériennes, quand la foi les animait encore. Dans un lointain passé ils avaient connu l'Age d'Or, quand sur leur propre sol, ils firent entendre raison aux hérétiques, aux juifs et autres impies. Sans parler des temps héroïques où de courageux missionnaires osèrent franchir l'immense océan et porter leur Guerre Sainte aux nouveaux continents.

 

 A l'heure où je vous parle, assis dans leurs machines, ils n'ont plus le cœur à combattre, nos guerriers d'Occident, et leurs conquêtes s'exhibent dans les vitrines. Il y a pourtant ici un magicien qui n'est pas moins maître de son esprit qu'il l'est lui-même de celui des autres. Ce magicien s'appelle « le Pape ». Tantôt il fait croire à son peuple qu'un homme qui était mort est revenu à la vie, que  trois ne font qu'un, que le pain qu'on mange n'est pas du pain, ou que le vin qu'on boit n'est pas du vin, et mille autres choses de cette espèce. Mais ces articles de croyance qu'il dispense à ses fidèles ont perdu leur résonance. Et les chefs religieux d'ici, très cher Imam, ont baissé les bras et tiennent un langage bizarre : « pilule », « homosexualité », « dialogue », «  œcuménisme », « démocratie », toutes choses qui ne figurent pas dans leur Loi. Car ils en ont une, inscrite en toutes lettres en un Livre Sacré : proprement leur Alcoran. Avec délectation, j'y ai appris quelques histoires dont une que voici, où l'on retrouve ce souffle, cet enthousiasme qui anime nos propres fidèles aujourd'hui. On y parle de leur guide, Josué, avec lequel Allah –ils l'appellent Dieu- avait scellé une alliance :

 

« Josué leur dit : « Ne craignez point, ne tremblez point. Du courage et de la vaillance ! Car c'est ainsi que le Seigneur traitera tous les ennemis que vous combattez. » Après ces paroles, Josué frappa de mort les cinq rois vaincus et les pendit à cinq arbres, où ils demeurèrent attachés jusqu'au soir. D'un seul coup Josué s'empara de ce pays et de ses rois, car le Seigneur Dieu combattait pour lui. »

 

 En lisant ces beaux exploits, je ne pouvais m'empêcher de penser à nos courageux combattants qui croient au Ciel avec une ferveur telle, qu'ils n'hésitent pas à armer leurs propres enfants pour faire face à l'armée des mécréants.

 

 Votre Sainteté, dois-je vous faire un aveu ? J'ai la nostalgie du pays, je rentre.

 

 

§

 

 

 

 

Lettres persanes, ouvrage de Montesquieu (1721), qui imagine que deux Persans, Rica et Usbek, entre 1711 et 1720, visitent l'Europe et s'écrivent, ainsi qu'à leurs amis restés en Perse. De cette façon, l'auteur analyse avec distance et fausse naïveté la société de son temps. © Hachette Multimédia / Hachette Livre, 2001



22/05/2009
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