On ne la nomme plus, elle est partout

 

 

 

 Un mot qui n'est plus à la mode, qu'on employait beaucoup autrefois, bien souvent immodérément il faut bien reconnaître, un mot qui sortait de la bouche de personnes qui avaient ceci en commun qu'elles faisaient de la politique, qu'elles prenaient parti, qu'elles s'engageaient -ne nous emballons pas, on sait maintenant que l'engagement n'est pas toujours un exemple à suivre- mais surtout ce qu'il faut retenir, c'est que ces personnes étaient du bon côté, celui du progrès, de la morale, oserai-je lâcher ce terme qui depuis le grand Platon a provoqué chez tant de philosophes en herbe ce frémissement qui vous prend au bas du dos et remonte, vertèbre par vertèbre jusqu'au sommet du crâne pour un dernier frisson transcendental, allez je lâche: le souverain Bien. Oui ces personnes étaient du bon côté, elles le savaient et nous aussi on le savait, car on nous le répétait sans cesse. Il ne se passait pas quelque chose dans le monde sans qu'on nous rappelle ce qu'il fallait penser... si on voulait creuser son trou du bon côté. Et ceux qui ne creusaient pas, ou mal, où là où il ne fallait pas étaient perdus pour la cause, et définitivement classés "réactionnaires".

 

Le mot est passé de mode. Réaction. Pourquoi donc? Je regarde autour, je la vois partout. Car voyez-vous, la chose n'est pas cantonnée en politique, malheureusement. Vieille comme le monde, riche d'une expérience infinie, elle est rusée la coquine, elle va fourrer son nez là où ne l'attend pas. Attention au piège! Le béotien moyen, ce fut mon cas pendant un quart de siècle je sais de quoi je parle, le béotien moyen qui entend le mot regarde instinctivement à droite. Il a raison question réaction, à droite ça déborde. Au point d'inonder les alentours. Pas seulement dans la plaine. Même les montagnards sont atteints, les penseurs de l'extrême, ou leurs adeptes.

 

Il faut noter ce fait étrange que des gens qui prônent la révolution sont dans bien des domaines réactionnaires. Il n'y a qu'à voir quelle résistance fut la leur avant d'admettre qu'un homme pouvait aimer un homme, qu'une femme pouvait aimer une femme. Comme souvent, ce sont les gens qui ont le plus tardé à admettre l'inévitable qui sont les premiers un beau jour à clamer haut et fort ce qu'il faut penser... après que le verrou du tabou a sauté. Alors c'est amusant de les voir descendre par milliers dans la rue pour faire entendre leur symphonie du progrès. Et là, si vous émettez quelques réserves, ou si vous parlez comme eux-mêmes le faisaient avant-hier, attention à vous! Non je plaisante, vous ne risquez rien, au pire peut-être le silence à votre passage devant la machine à café ou dans ces réunions de famille où l'on évite adroitement les sujets qui dérangent. Allez dire que c'est un acte contraire aux droits humains que de voiler sa femme, vous ne risquerez rien non plus, à l'heure où je parle vous pourrez encore circuler librement, mais vous aurez droit à une leçon du genre: il faut respecter les différences culturelles et le vivre ensemble, et ce sera déjà un moindre mal pour vous si on ne vous assène pas un cours d'anti-racisme. Il y a quarante ans les révolutionnaires regardaient les religions comme un opium pour les peuples, c'est tout juste si aujourd'hui ils voient en elles un moyen de libération. Quarante ou cinquante années ont suffi pour qu'une génération d'hommes et de femmes, par une mutation extraordinaire, oubliant l'idéal révolutionnaire, déposant leurs idées et les armes, rejoignent le cortège des policiers de la pensée.

 

La réaction fait aussi bon ménage avec la science. Avant d'aborder la question, une constatation : les mathématiques, les sciences et les techniques développent le raisonnement. L'intelligence et l'ouverture d'esprit c'est moins sûr. Faut-il rappeler les résistances d'une grande partie du corps médical quand à la légalisation, et surtout à la pratique de l'avortement? Tentez simplement, sur le mode questionnant, timidement, à mi-mots, de suggérer à un scientifique pur et dur -les scientifiques le sont souvent- que des témoins dignes de foi auraient éventuellement vu dans le ciel un objet volant non identifié, c'est toute la science du monde qui va vous rire au nez. Quelle rupture avec le passé quand la science s'interrogeait, écoutait, découvrait, avec quel courage! Car la réaction de l'époque pratiquait la Question à l'aide de moyens persuasifs.

 

Il y a un domaine où la réaction est à l'aise, c'est la technologie. Non mais regardez-les! Ils se croient libérés parce qu'ils communiquent sans fil où ils veulent quand ils veulent, métro, bus, à pied, en vélo, en moto, au cinéma, au musée et jusqu'à votre table quand leur musique préfabriquée interrompt toutes les conversations. Et ceux-là qui commettent viols, crimes et génocides, ne sont-ils pas reliés par satellite? Ah! S'il suffisait de coller un téléphone portable à son oreille, de surfer sur tout ce qui bouge, de manipuler tablettes, smart phone, gépéesses et écrans les plus sophistiqués en trois, quatre ou cinq dimensions pour enfin ouvrir son esprit... Si l'informatique change beaucoup les choses dans notre vie, pesons les mots. La qualifier de révolution est exagéré. S'il y a révolution un jour, ce sera dans le comportement des hommes, sinon ce n'est pas intéressant. Si tous ces instruments rendaient les gens plus intelligents, respectueux des autres et de la langue, de la grammaire et de l'orthographe. Mais non, grave erreur, grammaire et orthographe colportent une mauvaise image, celle de l'ordre prescrit. Horreur! Pour celui qui ne respecte plus rien, et surtout pas les règles, tout est facile, s'obtient sans effort. C'est un danger qui nous guette, de croire qu'en méprisant les conventions, nous serions libres. Entre celui qui respecte la loi et celui qui s'en affranchit, le plus réactionnaire n'est pas celui qu'on croit. Ce type, qui écrit à cent à l'heure dans un langage incompréhensible une sorte de message qu'un autre au volant aussi recevra en temps réel, quelle est sa vision du monde, sa conception de la vie, qu'enseigne-t-il à ses enfants, saura-t-on jamais s'il était entré, avant qu'il ne se tue sur la route, dans la modernité ?

 

 

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20/09/2014
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