Cérémonie

 

 

  La force de persuasion de l’Eglise ne vient pas de ce qu’elle dit, mais du moment où elle le dit. Et le meilleur moment, celui où le message religieux est écouté, où l’observation du dogme devient inévitable, c’est le moment où l’émotion est la plus intense.

 

 Sous les voûtes monumentales du temple, une famille est accablée par la douleur. Alors, dans le recueillement seulement accompagné des longues plaintes de la musique sacrée, parents, enfants, amis attendent les paroles consolatrices du représentant de la Puissance divine. Chaudes paroles empreintes de respect, d’attention, où la vie du défunt est rappelée avec application, et précaution aussi, les défunts sont toujours de braves gens.

 

 Ne soyons pas méchants. Surtout dans ces moments-là. Il nous est accordé la liberté de faire célébrer notre disparition selon le rite de notre choix. Ou sans rite du tout. Et c’est précisément là que je voudrais en venir.

 

 Un village est frappé par le malheur à la suite d’un accident qui a coûté la vie à plusieurs enfants. Révolte, accablement, tristesse, paroles de réconfort, rassemblements silencieux, manifestations de solidarité des villageois avec les familles des victimes. Il y a beaucoup d’humanité dans ce monde, cela fait chaud au cœur. Ce qui ne nous empêche pas de réfléchir sur les causes de l’accident et d’intervenir auprès des autorités pour qu’elles résolvent le problème des croisements transports ferroviaires-transports routiers. 

 

 L’importance du drame, le chagrin des familles ne doit pas non plus nous empêcher de réfléchir et de nous demander :

 

1/ Pourquoi la cérémonie fut religieuse ;

2/ Pourquoi elle fut célébrée par un évêque, donc selon le rite catholique ;

 

 Si toutes les familles concernées se reconnaissent dans cette confession, je retire tout ce qui va suivre. Mais je doute. Je sais cette religion majoritaire dans le pays. Elle ne fait donc pas l’unanimité. A la suite d’un article sur ce drame, j’écris un commentaire très court, dans lequel je demande si la question de leur appartenance religieuse a été posée aux parents des victimes, avant la cérémonie. Je n’ai pas de réponse. Par contre, des réactions nombreuses et très vives me reprochant

 

« de ne pas penser à ces pauvres petites victimes, à leurs parents qui sont dans la détresse »

 

ajoutant qu’on devrait laisser  

 

« entendre les mots qui… leur donneront l’espérance et la force de continuer le chemin ».

 

et que

 

« chacune de ces familles si dramatiquement éplorées a toute liberté de prendre part, ou non, à la célébration religieuse »

 

On me dit aussi :

 

« De quoi vous mêlez-vous? Que vous le vouliez ou non, les racines de notre chère terre de France sont chrétiennes »

 

« Comment peut-on être contre les messages d'amour du Christ, je dis bien du Christ. Qui vous êtes vous pour juger les autres ? »

 

Je reste ébaubi. On peut toujours critiquer les régimes totalitaires où la pensée unique fait la loi. Ces gens-là ici, heureusement, ne sont pas au pouvoir ! Quand aux racines, on peut leur faire dire beaucoup de choses. On peut dire aussi qu’elles sont féodales, quand elles toléraient le servage ici, puis l’esclavage là-bas. Du point de vue purement religieux, on peut leur attribuer la tradition des bûchers, des tourments, de la Question, de l’intolérance sous toutes ses formes, de la chasse aux Cathares, aux sorcières, aux humanistes, aux scientifiques, ici. On peut leur attribuer l’accompagnement missionnaire de la colonisation des peuples, là-bas. On peut, ici, attribuer aux racines de notre chère terre de France la soumission de la femme, la guerre aux protestants, la rouelle pour les juifs et bien d’autres traditions peu réjouissantes.

 

Quand on me dit que

 

« chacune de ces familles … a toute liberté de prendre part, ou non, à la célébration religieuse »

 

sans vouloir le jeu de mots, je mets la formule sur le compte de la plus mauvaise foi. Imaginez-vous possible pour des personnes ayant vécu un tel drame, alors que tous les regards, les micros, les caméras sont dirigés sur eux, d’imposer que leur enfant reçoive un hommage séparé, simplement parce que leur confession, leur conception du monde n’est pas la même ? Il m’est déjà difficile de ne pas entrer dans un temple ou une église à l’occasion des funérailles d’un ami… rester seul sur le parvis… il y a le café en face, ce n’est pas le lieu ni le moment… attendre bêtement dans la voiture puis… à l’issue de la cérémonie… affronter les questions et vous trouver incapable d’y répondre parce que vous êtes accablé d’une double peine : du chagrin, ça oui, vous en avez. Mais les autres ont du mal à y croire.

 

J’ai quand même reçu un petit mot :

 

« Mais je vous respecte tout de même ».

 

 

§

 

 

 



10/06/2008
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